Cartes bancaires : pression immédiate pour débit différé

4 avril 2017

Les réseaux de commercialisation de détail sont fortement incités à proposer à leurs clientèles une carte à débit différé, ou à la substituer à la traditionnelle carte à débit immédiat. Retour, explications et leviers d’intervention face à des pratiques qui semblent se généraliser. Non sans poser de questions.

La déclinaison du règlement européen relatif aux commissions d’interchange serait presque passé inaperçue. Si ce n’est que ce règlement entré en application en décembre 2016 amène dans ses filets son lot de mauvaises pratiques commerciales, que nombre d’entre vous ont bien voulu faire remonter à la Fédération.
Suivi à la « culotte », pression commerciale démesurée, injonctions managériales aigrelettes, détermination et suivi d’objectifs quantitatifs ou benchmarkés, lancement de « campagnes », de « challenges », « d’animations », de « temps forts », voici les dérives que vous nous avez relatées autour de la commercialisation et substitution des cartes bancaires à débit différé. Qui aurait prédit qu’une pareille frénésie s’emparerait de ces quelques centimètres carrés de plastique que tout un chacun a en portefeuille ? La carte bancaire est un produit simple, presque banal, habituellement peu regardé dans les réalisations commerciales des conseillers de clientèle. En quelques mois, la carte est subitement redevenue un enjeu majeur pour les banques. Mais pas toutes les cartes. Seulement les cartes de crédit, celles à débit différé, et celles adossées à un crédit renouvelable, avec option de paiement en « n » fois. Les fameux crédits revolving que la Ministre Lagarde avait en son temps voulu flinguer sans sommation.

Un engouement des dirigeants qui met la puce à l’oreille !

Alors que les Français sont actuellement majoritairement détenteurs de cartes de débit (à débit immédiat), à près de 70 %, les banques s’évertuent à convaincre – de gré ou de force – leurs clientèles de souscrire ou de migrer vers une carte de crédit, à débit différé donc. Promesse d’une plus grande liberté financière, d’une autonomie et d’une souplesse à toute épreuve. Exit les problèmes de décalage de trésorerie ! Mieux, et l’argument commercial fait mouche, seule la carte de crédit permettrait de réserver un véhicule à la location. On comprend mieux l’intérêt pour le commun des mortels. Les réseaux commerciaux des établissements sont sur le pont, ou plutôt dans les cales, et il faut ramer vite, toujours plus vite, au rythme des sacro-saints objectifs fixés par les Directions, tandis que le capital tient la barre et le cap sur la rentabilité.
Car c’est effectivement de rentabilité dont il s’agit. Dans l’envers du décor, le règlement européen a introduit une nouveauté invisible à l’œil nu, qui rend les commissions d’interchange plus lucratives sur les cartes de crédit que sur les cartes de débit, une distinction entre carte de crédit et carte de débit qui n’existait jusqu’ici pas en France. Tout s’éclaire… Les commissions d’interchange sont les commissions perçues par l’établissement qui a fourni la carte, lorsque cette dernière est utilisée. A chaque paiement, la banque du client porteur de la carte perçoit des retombées, plus juteuses lorsque le paiement est réalisé au moyen d’une carte de crédit, plutôt qu’avec une carte de débit. De quoi troubler la vision des Directions générales, qui confondent intérêt du client, et intérêts pour la banque. Mais il y a un hic : c’était sans compter sur la protection de la primauté des intérêts du consommateur, qui est un élément fondamental dans notre pays.

L’intérêt clientèle au second plan ?

La carte bancaire à débit différé n’est que peu répandue en France (30 %), elle répond effectivement à un besoin lorsqu’elle est désirée par le consommateur, et non imposée. Jusqu’ici, les cartes à débit différé étaient souvent facturées plus cher au client. Naturellement, c’est le tarif des cartes de débit qui a été revu à la hausse, puisqu’il n’y a pas eu de baisse notable de tarif sur les cartes à débit différé. Ce renversement de la vapeur fait peser un risque important de dérives sur les clientèles fragiles, ainsi que sur les clientèles qui ne seraient pas familiarisées et en capacité de gérer leur budget avec un moyen de paiement à débit différé. Tout ceci, sur fond d’austérité salariale généralisée, de chômage historiquement haut, avec le fléau du surendettement qui peine à refluer. On ne parle même plus de l’éducation financière et budgétaire qui fait cruellement défaut en France. Utile lorsqu’il est parfaitement maîtrisé, le fonctionnement en débit différé peut en revanche vite se révéler comme un piège. Pas un piège à guêpes, mais un piège à découvert, un piège à commissions d’intervention, un piège à agios en somme.
Quelle que soit l’évolution de la réglementation, la distribution massive de cartes bancaires à débit différé n’est ni souhaitable, ni adaptée au modèle français. Cette distorsion du niveau des commissions d’interchange imposée par Bruxelles fausse la donne, et pose donc sérieusement question, dans le cadre de la protection des consommateurs et du point de vue des pratiques commerciales. La source du problème semble clairement relever de ce point, et les interventions adéquates doivent être faites rapidement, au bon niveau. Pas de quoi, néanmoins, excuser les mauvaises pratiques impulsées par des dirigeants bancaires qui placent la rentabilité à tout prix avant le service à l’économie réelle et aux clientèles. Tout le débat est de savoir, entre banques et clients, quelle est la partie qui s’adapte le plus souvent à l’autre ?

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